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Israel : soixante ans de littérature

Publié le 13/03/2008
A la découverte de la littérature israélienne...

Israël est un pays jeune, 60 ans cette année ; mais c'est un des plus vieux peuples de l'humanité, né il y a plus de 3000 ans. Il ne saurait y avoir de littérature israélienne sans référence à cette ancienneté, et aux deux paramètres essentiels que constituent la langue hébraïque et ce monument littéraire qu'est la Bible, aujourd'hui patrimoine de l'Humanité. Privé d'espace national durant près de 2000 ans, le peuple juif a continué de produire une littérature diasporique, essentiellement d'ordre religieux, en utilisant des langues d'emprunt variées : l'araméen pour le Talmud ; l'arabe et le castillan pour la poésie puis le yiddish, le russe, l'allemand. Mais le poète espagnol Y. Halevy, le médecin cordouan Maimonide, ou encore le mathématicien allégoriste Yehouda Loew de Prague étaient tous des rabbins, et leur écriture très marquée par les problématiques bibliques et talmudiques. Leurs écrits n'en sont pas moins le socle de toute la littérature juive puis israélienne moderne, même si aucun d'entre eux ne s'essaya jamais à une production littéraire plus profane comme le roman.

A partir du XVIIIème siècle, emboîtant le pas des Lumières, le mouvement de la Haskala va transformer la littérature hébraïque. Outre le rôle d'émancipation des juifs d'Europe, la Haskala participe au développement d'une prose laïque, romanesque en langue hébraïque mélangeant expressions bibliques et de larges emprunts déplacés à la littérature rabbinique médiévale. Langue des prières et des spéculations métaphysiques, l'hébreu redevenait langue d'expression profane, non sans réticence des milieux orthodoxes. De cette époque, il faut retenir les figures majeures de Avraham Mapu, père du roman hébreu, qui publie en 1853 son fameux roman épique « l'Amour de Sion », et de Mendele Moicher Sforim qui rompt avec le Yiddish pour un hébreu qu'il commence à enrichir de créations lexicales à partir de racines verbales anciennes. La littérature juive en hébreu se développe alors, au tournant du 20ème siècle, avec deux auteurs majeurs, H-N Bialik et S. Tchernikhovski dont les écrits chantent la patrie perdue, certes comme une abstraction, mais non moins nécessaire pour l'avenir du judaïsme.

La fin du XIXe siècle voir naître le Sionisme, idéologie nationaliste théorisée par Th.Herzl, prônant le retour des juifs sur l'ancienne terre de leurs ancêtres, et renaître l'hébreu comme langue parlée au quotidien sous l'impulsion irrésistible d'Eliezer Ben Yehouda, un juif lituanien animé de cette folle idée d'imposer l'hébreu comme langue usuelle, laïque et littéraire dans le futur « état des juifs », comme le définissait Herzl. Le travail acharné des deux hommes les mènera à une mort prématurée, sans avoir pu constater le fruit de leur rêve. Qu'importe ! Tout était en place pour que naissent l'état d'Israël et la littérature israélienne.

Le monde ashkénaze a fourni la majorité écrasante des écrivains israéliens des deux premières générations. Ils étaient les héritiers des Schnitzler, Zweig ou encore Kafka et Proust.  Parmi eux, il faut retenir essentiellement Y. Brenner, attaché à la figure du pionnier en proie au doute sur le bien-fondé de son entreprise, et Sh. Agnon, grand scrutateur de l'âme juive, notamment celle des juifs d'Europe, massacrés par millions par les nazis. Il est à ce jour le seul auteur israélien couronné en 1966, par le jury Nobel de littérature. Il est l'auteur notamment de «La dot des fiancés» et «A la fleur de l'âge».

Ces auteurs de transition, entre la fin d'une Diaspora à bout de souffle et en lambeaux, et les promesses d'un état libre vont largement contribuer à l'éclosion des premiers écrivains réellement israéliens, nés sur place, pensant et rêvant leur vie et le monde… en hébreu. On retiendra les noms de H. Gouri auteur de «L'affaire Chocolat», A. Megged qui publie «La vie brève» et M. Shamir auteur de «Un roi de chair et de sang ». Ce sont des pionniers des temps premiers d'Israël. Ils ont tous fait la guerre d'Indépendance. Leur écriture est entièrement plongée dans l'idéologie des origines du Sionisme avec déjà la lucidité d'un regard autocritique, surtout chez M. Shamir.

La Shoah, d'abord occultée par les israéliens, puis re-questionnée à partir du témoignage des rescapés, deviendra à contretemps un thème majeur de la littérature israélienne sous la plume notamment d'A. Appelfeld, comme dans «Tsili»  ou «L'amour, soudain», ou encore de Y. Kaniuk auteur de «Le dernier berlinois», de Z. Yanai et de S. Liebrecht. En fait, bien peu d'écrivains israéliens n'échappent à l'attraction fascinante de la Shoah qui reste un fantastique objet littéraire.

Le conflit israélo-arabo-palestinien, et ses guerres répétées, constitue sans conteste l'autre thème majeur de la littérature israélienne contemporaine. Amos Oz, auteur de «Une histoire d'amour et de ténèbres», est le cofondateur du mouvement «La Paix Maintenant». Son combat pour une paix juste et négociée entre Israël et les palestiniens est à la mesure de la richesse de son écriture. Il fait figure de conscience d'Israël, tout comme ses homologues, M. Shalev, auteur de «Que la terre se souvienne» et AB Yehoshua, auteur récemment de «Israël, un examen moral», livre dur pour son pays et pour ses concitoyens. Il faut encore faire une place de choix à David Grossman, peut-être le plus doué des écrivains israéliens modernes, qui combat avec méthode et raison pour la résolution pacifique du conflit, et ce malgré la mort de son fils, officier dans Tsahal durant la guerre du Liban de 2006. Il est l'auteur remarqué de «Le Livre de la grammaire intérieure» et «Chronique d'une paix différée».

L'extrême diversité des origines des israéliens va finir par trouver son expression littéraire sous la signature d'écrivains notamment sépharades ou orientaux, comme E. Amir, auteur de «Yasmine» ou A. Suissa et E. Bitton, dénonçant en demi-teinte leur discrimination sociale des premiers temps de l'Etat, au nom d'un pragmatisme ashkénaze très condescendant. Il faut souligner que AB Yehoshua revendique aujourd'hui haut et fort ses origines marocaines, et son discours plus que son écriture s'en trouve changé. Les mots et la voix des arabes israéliens trouvent de nouveaux échos qui résonnent…en hébreu. Sous la plume de A. Shammas, auteur de «Arabesques», ou de S. Kashua qui signe «Et il y eut un matin», on découvre le monde d'une minorité arabe et musulmane en pays juif - du jamais vu – s'interrogeant sur ses traditions archaïques, tout autant que sur la signification de son identité israélienne.

Ces deux dernières décennies ont vu apparaître une nouvelle littérature israélienne, plus intimiste, plus personnelle, retrouvant les thèmes classiques et universels du roman où se côtoient l'amour, la solitude, la dépression, le divorce, la haine. Les représentants les plus éminents de cette nouvelle génération portent les noms de O. Castel-Bloom, auteur de «Dolly City», E. Keret, salué pour «Crise d'asthme», et Z. Shalev qui dans «Mari et femme» livre une analyse saisissante du naufrage d'un couple ...israélien s'entend. Même s'ils s'en défendent, ces écrivains semblent toujours hantés par les problèmes majeurs de survie d'Israël, adoptant le déplacement et la métaphore pour mieux dé-dire leur angoisse. Beaucoup de femmes participent de cette révolution littéraire toute récente en Israël ; outre O. Castel-Bloom, et Z. Shalev, il faut citer, A. Kimhi, Y. Katzir et S. Horn.

Nul ne peut prédire comment évoluera la littérature israélienne ; mais ce qui est sur, c'est qu'elle est d'une vitalité et d'une richesse étonnante. Elle sera, probablement encore pour longtemps, le creuset et la caisse de résonance de tous les séismes que la société israélienne semble promise de vivre.

- Hervé Rehby

Bibliographie