Chargement...
Chargement...

La « littérature ailée » de la fin d’Ancien Régime : 1788 et l’anarchie de la presse

Une actualité de Jean-Baptiste G.
Publié le 07/09/2017
A la fin de l’époque moderne, mémoires, libelles, pamphlets et journaux sont autant de documents de premières mains dans lesquelles leurs auteurs racontent leur temps, leur société, leurs histoires, leurs savoirs et leur monde. Ces textes proviennent pour la plupart de cette « littérature ailée », pour reprendre les mots d’Arlette Farge, qui mêle discours politiques, écrits satiriques et imaginaire populaire en ce que les historiens appellent communément la littérature de combat d’Ancien Régime.
Dossier rédigé par Jean-Baptiste Garros


Quels furent l’imaginaire, les discours et les combats développés par ces écrits? Quelles personnalités prirent la parole dans le cadre de cette explosion de la vie politique française et de ce que certains historiens appellent une « anarchie de la presse » qui précède la Révolution française sans la préméditer ? Que doit-on à ce moment « prérévolutionnaire » ?

Le pamphlet, la brochure, le libelle sont l’armature de cette machine littéraire omniprésente dans la société française de la fin du XVIIIe siècle. La censure, pourtant, veille et s’évertue à pourchasser les écrits litigieux, les discours séditieux ou encore les productions les plus scabreuses et les plus immorales. Toutefois, il serait faux de penser que les sujets du roi vivent dans une hermétique prison de la pensée. « Citez-moi un livre dangereux que nous n’ayons pas » écrivait Diderot dans ses Lettres sur le commerce de la librairie. Les censures royales et ecclésiastiques reconnaissent et tolèrent la plupart de ces écrits sans se lancer dans d’acharnées chasses aux sorcières, d’autant plus que même les personnages les plus éminents du royaume s’adonnent sans complexe à la lecture de certaines des brochures les plus croustillantes.

 On trouve donc des pamphlets partout, à chaque coin de rue, de Paris aux villes de provinces, des étals des marchands de nouveautés aux colporteurs ambulants qui vendent sous le manteau les feuillets interdits par la juridiction du roi. Mais cette littérature entre dans une véritable expansion en  1788 suite à l’arrêt du Conseil du 5 juillet: le roi demande à ses sujets de s’exprimer sur les modalités de convocation des futurs États généraux. La France en cette fin du XVIIIe siècle, si elle est une véritable puissance coloniale, militaire et économique, n’en demeure pas moins en pleine crise du fait d’une désastreuse situation fiscale. Le pouvoir se retrouve dans l’incapacité de réformer, enlisé dans de sempiternelles querelles ministérielles et courtisanes qui font fondre les réformateurs les plus audacieux comme neige au soleil.

Qui plus est, face à l’inertie de la monarchie,  les trois ordres souhaitent jouer un rôle dans les évènements à venir, notamment le Tiers état. Le ton est donné et ce n’est qu’à contrecœur que le roi annonce la convocation des États généraux pour la fin de l’année 1788. Mais comment organiser un rassemblement qui n’a pas eu lieu depuis près de deux cents ans ? Le doute couve au sein du Conseil royal. Les parlements, véritable opposition ancrée dans la tradition du royaume, guettent le moindre faux pas et l’occasion de se présenter comme les seuls vrais co-législateurs du roi. La requête est donc formulée. On réclame de chaque érudit qu’il mette ses compétences au service de la restauration des anciennes institutions de la monarchie, qu’il recherche tout ce qui pourrait aider le roi à réunir aux mieux ses États. C’est une véritable explosion. Chacun délibère, s’exprime, attaque. Une véritable « anarchie de la presse » nait du 5 juillet.

Les objets d’histoire sont multiples et les historiens ne doivent se priver d’aucun d’entre eux. Le pamphlet est aussi une trace matérielle de son temps trop longtemps négligée. Ces écrits n’arrivent bien sûr pas à égaler d’un point de vue qualitatif les grandes œuvres de l’époque mais il n’en reste pas moins un genre littéraire majeur du XVIIIe siècle, colporté, diffusé, lu et discuté massivement dans tout le royaume, par tous mais aussi par toutes. Ils témoignent d’une pensée politique en plein essor et d’une explosion des écrits. Ce sont les témoins parlant d’une manière de concevoir à la fois la société, le temps et l’Histoire.

Bibliographie