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Les vrais durs ne dansent pas (III)

Publié le 20/04/2004
Troisième et dernier temps de notre dossier polar et musiques

Mais s'il est un genre musical qui s'accorde à merveille au polar, c'est bien le blues ! On le voit avec la série de John Harvey mettant en scène Charlie Resnick. Vivant à Nottingham, celui-ci aspire simplement à bien faire son métier, celui de flic... Mais rien n'est simple dans cette Angleterre rongée par le chômage, la délinquance juvénile, les crimes crapuleux, les cas désespérés... Personnage central de la série, qui compte à ce jour neuf volumes, Resnick s'évade de ce quotidien sordide en écoutant du jazz, entouré par ses quatre chats aux surnoms évocateurs : Dizzy, Miles, Pepper et Bud. De morceaux tristes et mélancoliques en portraits bien campés, l'univers de John Harvey est tout simplement magnifique et humaniste...

La couleur noire du blues colle aussi aux héros du français Hugues Pagan qui écoutent Billie Hollyday, Leroy Carr, Monk, le Duke, Count Basie, Armstrong, Erroll Garner, Carl Perkins, etc. L'auteur distille références et impressions musicales avec l'acuité du fin connaisseur. Le lecteur pourra en juger ici avec quelques extraits choisis, tirés de Dernière Station avant autoroute et de L'Etage des morts : "Billie Hollyday avait ce phrasé unique, détaché, cette diction râpeuse, ce détachement sobre et nostalgique qui donnait à son chant des allures de tragédie", "Assis au piano (...) je laissais mes doigts se promener sur les touches. Ils se rappelaient tout seuls, sans beaucoup de recherche, des harmoniques sourdes, des accords sans prétention, des notes de tous les jours. L'alcool y était pour beaucoup, la fatigue pour le reste. (...) J'ai essayé plusieurs standards pour finir par le vieux Blues In The Night d'Arlen et Mercer. (...) J'ai imité la frappe de Basie, claire, élégante, pleine d'allant. J'ai imité le Duke, plus lourd de sens, plus proche du tragique bien que tout aussi élégant et vigoureux....", "J'ai dans la tête les premières mesures de Wild Man Blues, de Morton et Armstrong. Le saxo soprano de Sidney a quelque chose de vaguement maléfique. Il n'y a rien au-dessus du blues, sauf peut-être le blues","... les premières mesures de Saint Louis Blues. J'en connais par coeur d'innombrables versions, toutes aussi maléfiques les unes que les autres, et aucune ne parvient à m'être réellement indifférente. Pour la plupart, elles racontent l'histoire de cette femme de Saint Louis, de cette femme de la Louisiane, parée de perles de pluie, cette femme dont le coeur est si lourd qu'il a l'air d'une grosse pierre qu'on jette dans la mer. Dans celle que je préfère, l'intro au cornet est d'une rare amertume et rend un son de mélancolie presque indélébile ".

Fabio Montale, protagoniste principal de la trilogie marseillaise de Jean-Claude Izzo (Total Khéops, Chourmo, Solea ) est fan de John Coltrane et plus largement de jazz. Solea, qui clôt la trilogie, est d'ailleurs le titre d'un morceau de Miles Davis. Quelques citations, pour l'ambiance : "Coltrane jouait. J'étais complètement ivre, mais j'avais reconnu Out of This World. Quatorze minutes qui pouvaient consumer toute une nuit", "Je reconnus les premières notes de In a Sentimental Mood. Et le son. Coltrane et Duke Ellington. Un bijou", "Un pastis s'imposait. Et un peu de musique. Un bon vieux Nat King Cole. The Lonesome Road, oui, avec Anita O'Day en guest star". Fidèle à ses racines italiennes, il apprécie aussi les anciennes chansons napolitaines de Renato Carosone qui lui rappellent famille et enfance, la poésie contemporaine d'un Gian Maria Testa, ou encore la musique solaire de Cuba : "J'aurais dû changer de musique. Me faire sauter les idées noires à coups de son cubain. Guillermo Portales. Francisco Repilado. Ou mieux encore, le Buena Vista Social Club." Les goûts musicaux de Montale font se côtoyer Bob Marley, Bob Dylan, Léo Ferré, Penetop Perking Blues, Lightnin'Hopkins, Art Pepper ou Sonny Rollins, et les musiques du monde : "Je mis un disque du pianiste sud-africain Abdullah Ibrahim. Echoes from Africa. Un morceau particulièrement. Zikr. Je ne croyais ni à Dieu ni à diable. Mais il y avait dans cette musique, dans son chant - le duo avec Johnny Dyani, son bassiste - une telle sérénité qu'on avait envie de louer la terre. Sa beauté. Ce morceau, je l'avais écouté des heures et des heures (...) je ne comprenais rien aux paroles d'Abdullah Ibrahim, mais cette Remembrance of Allah trouvait en moi sa traduction la plus simple. C'est bien ma vie que je joue ici, sur cette terre. Une vie à goût de pierres chaudes, de soupirs de la mer et de cigales qui, bientôt, se mettront à chanter. Jusqu'à mon dernier souffle, j'aimerai cette vie. Inch Allah."

La musique est une échappatoire pour tous ces personnages, chaque pause musicale s'apparente à une respiration, un moment d'apaisement tant pour le héros que pour le lecteur.

Karine Gilabert et Olivier Pene

 

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Bibliographie