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Crimes sur les cimes

Une actualité de Véronique M.
Publié le 03/02/2018
Si les polars scandinaves donnent l'habitude de parcourir des décors glacés aussi fascinants de beauté que terrifiants, l'ambiance polaire inspire des auteurs de tous pays qui savent procurer ces grands frissons que nous apprécions particulièrement lovés sous un plaid, une boisson brûlante à portée de livre. Voici un tour d’horizon de nos coups de cœur entre neige et montagne pour vous accompagner cet hiver sur les pistes… du crime !

Révélation littéraire 2014 avec Grossir le ciel (grand coup de cœur de vos libraires et des lecteurs qui le désignent lauréat du Prix SNCF du polar), Franck Bouysse nous fait ressentir en plein cœur de l'hiver le lien fragile fait de silences entre Gus et Abel, deux vieux paysans des Cévennes qui partagent dans leurs fermes voisines une vie solitaire et un secret qui ne va pas tarder à leur exploser en pleine figure. Rien d'étonnant à ce que le romancier ait confié que l'image de départ de ce livre fut le rude mois de janvier 2007 (scène d'ouverture où Gus apprend la mort de l'abbé Pierre et entend un coup de fusil du côté de chez Abel), ni que le titre ainsi que le travail du style ait été notamment influencé par le magnifique roman hivernal d'André Bucher, Déneiger le ciel. Les rythmes de la nature et des saisons scandent le quotidien et l'imaginaire de Franck Bouysse qui oeuvre à une tétralogie : l'automne dans Plateau et l'été dans Glaise… Vivement le printemps !

Parmi nos incontournables,
La sanction de Trevanian publié en 1972 fait partie de ces romans cultes palpitants qui bouscule les codes du roman d' espionnage anglo-saxon. Loin du héros à la « James Bond » ou même des agents secrets sous la Guerre froide chez John Le Carré, Jonathan Hemlock incarne un professeur d’art ascète, féru d’alpinisme et redoutable tueur à gages qui agit pour le compte d’une organisation secrète. Quand une nouvelle cible partie en expédition sur l'Eiger, ce sommet périlleux des Alpes suisse, lui est désignée sans connaître son identité, la tension ira crescendo à mesure de l’ascension vers la vérité.

Tout aussi haletant,
Le village de Dan Smith se déroule en 1930 au moment de la montée au pouvoir de Staline dans un village ukrainien sur fond d’une impitoyable chasse à l’homme. Un livre qu'on lit en trois couleurs : le sang des hommes, la noirceur de l'âme humaine et le blanc de la neige.

Grâce aux célèbres enquêtes du commissaire Erlendur, tout lecteur a eu envie de braver la froideur islandaise pour s'enfoncer avec lui à la fin d' Hypothermie et Etranges rivages dans les fjords de son enfance à la recherche de son jeune frère autrefois perdu dans une terrible tempête. Emmuré derrière ses silences, sa mauvaise humeur légendaire et sa culpabilité de survivant, le flic meurtri de Reykyavik crée par Arnaldur Indridason laisse peu à peu affleurer une émotion bouleversante qui explique son acharnement à retrouver saines et sauves toutes les victimes de disparition.

Nouveau venu
, Ragnar Jonasson met en scène Ari Thór, jeune inspecteur dans la minuscule ville la plus au nord de l’Islande (au nom imprononçable : Siglufjörður) engloutie sous la neige. C’est dans cette ambiance de huis-clos plutôt typique des romans d’Agatha Christie - par ailleurs traduits en islandais par l’auteur - que se déroulent Snjór et Mörk, bientôt suivis d’un troisième opus, Nátt, qui se déroulera au contraire sous la lumière crue de l'été.

Pour les amateurs de thrillers nordiques vraiment glaçants, gageons que vous ne verrez plus un bonhomme de neige de la même façon après avoir dévoré le roman du même titre du Norvégien Jo Nesbo, récemment porté à l’écran avec l’excellent Michael Fassbender dans le rôle de l’inspecteur Harry Hole. Ce flic légendaire et borderline de la police d’Oslo doit arrêter les agissements d’un tueur en série qui s’en prend à des mères de famille en laissant sur les scènes de crimes d'effrayants bonhommes de neige.

Grand lecteur de Jo Nesbo,
Bernard Minier a imaginé une bonne partie de son dernier roman Nuit dans le froid norvégien avant de voir réapparaître le commandant Martin Servaz traquant son ennemi juré Julian Hirtmann jusqu'à Saint-Martin-de-Comminges dans les Pyrénées, là où tout a commencé (Glacé).

Dans
Le Cri, Nicolas Beuglet frappe fort en nous plongeant dans l'ambiance d'un asile psychiatrique d’Oslo sous la neige où un patient vient d’être retrouvé mystérieusement assassiné. Digne de Puzzle de Franck Thilliez ou de Shutter Island de Dennis Lehane, ce thriller qui n'est pas sans rappeler la virtuosité de Bernard Minier, nous transporte dans le Grand Nord, aux Etats-Unis, et en France dans les méandres de stupéfiants secrets d’état.

L’isolement angoissant dans l’univers pourtant
au grand air de la montagne semble un motif récurrent de ces polars du froid : dans l’excellent roman La délégation norvégienne du français Hugo Boris, on se retrouve piégé dans un chalet avec sept chasseurs qui vont se mettre à raconter des histoires en attendant que la tempête au dehors s’apaise, à moins que la folie qui rôde ne corrompe ces esprits engourdis. Et si la traque ne faisait que commencer, et le gibier n’était pas du tout celui que l’on pensait ? Un suspense inouï et un dénouement surprenant pour un thriller vraiment original qui nous donne presque envie de partager une veillée au coin du feu…

Fred Vargas
s’est également prêtée au jeu de l’épisode scandinave : à la fin de Temps glaciaires et au début de Quand sort la recluse, son commissaire Adamsberg se retrouve en Islande avant d’être rappelé à Paris, laissant malgré lui son fils Zerk resté là-haut. Une immersion réaliste et réussie, alors que la reine du polar français a avoué dans une interview n’avoir jamais voyagé dans ces contrées pour les besoins de son roman !

Ce
qui n’est pas le cas du journaliste Olivier Truc dont les reportages sur le peuple lapon ont inspiré sa trilogie mettant en scène la police des rennes (Le dernier lapon, Le détroit du loup et La montagne rouge) qui nous assure un dépaysement fascinant à la découverte de la culture laponne traditionnelle menacée par la modernité mortifère.

La maison d’édition bordelaise Mirobole a révélé
Yana Vagner, jeune auteur russe de talent dont le troisième roman nous invite dans le huis-clos de L’Hôtel coupé du reste du monde et plongé en pleine tempête de neige. Dix amis venus tourner un film s’y retrouvent coincés et suspectés du meurtre de la comédienne, retrouvée transpercé de deux coups de bâton de ski. Ce cluedo cruel qui manie l’humour noir n’est pas qu’une variation autour des Dix petits nègres d’Agatha Christie, il se lit comme une fable politique et sociale sur notre société et un thriller psychologique hautement addictif.

Si le début de son premier roman
La ronde des innocents se passait dans les Hautes-Pyrénées (Cauterets), Valentin Musso récidive dans Sans faille où cinq anciens étudiants décident de se retrouver le temps d’un week-end dans les Pyrénées, excursion qui va virer au cauchemar et interroger sur le sens des illusions trahies de la jeunesse.

Karine Giebel
a choisi les Alpes pour son polar Jusqu’à ce que la mort nous unisse qui met en scène la rencontre au sommet entre un guide de haute montagne qui mène l’enquête sur la mort de son meilleur ami retrouvé mort au fond d’un ravin avec une jeune recrue de la gendarmerie

Dans
Six fourmis blanches, Sandrine Collette signe un huis-clos psychologique captivant à l’image des montagnes albanaises habitées par le mal qui rôde dans ces coins reculés et s’abat sans pitié sur un groupe parti faire du trekking. Un roman noir vertigineux où la survie, impitoyable, décide du destin des hommes.

Citons encore
Stéphane Jolibert dont le premier roman nous a impressionnés : Dedans ce sont des loups plante un décor de bout du monde (on est dans le Grand Nord mais aucun lieu précis n’est cité) avec des personnages exténues et bouleversants, en quête de rédemption ou de vengeance…

Avec
L’essence du mal, Luca d'Andrea signe un thriller d’atmosphère qui se déroule au cœur des Dolomites, montagnes majestueuses de la région du Tyrol (Alpes italiennes), peut-être aussi antre de la Bête qui sommeille et hante autant les lieux que les personnages tourmentés, obsédés par la quête d’une vérité incroyable.

Dans une veine plus réjouissante, citons un autre écrivain italien également découvert dans la collection « Sueurs froides » chez Denoël :
Antonio Manzini, dont les trois romans traduits (Piste noire, Froid comme la mort et Maudit printemps - bientôt suivis d’un nouveau volet à paraître) se déroulent dans la région enneigée du Val d’Aoste. Obligé malgré lui à mener des enquêtes, le vice-préfet Rocco Schiavone y rumine sa mauvaise humeur, abusant d’un humour cinglant et d’une moralité toute personnelle. En bref, l’antihéros parfait aussi râleur qu’attachant que tous les lecteurs adorent détester !

Des Alpes italiennes, suisses ou françaises en passant par les montagnes pyrénéennes ou nordiques sans oublier les neiges du mont Fuji dans
Montagne claire, montagne obscure (premier polar traduit chez Actes Sud de l'écrivaine japonaise Kaoru Takamura), vos prochaines lectures ne risquent pas d'hiberner.

Nos coups de cœur venus du froid