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L'érotisme : des mots d'amour

Publié le 14/02/2008
Dessous de soie, parfums capiteux, éclairages tamisés, boudoirs clandestins, vertiges et séductions… Fermez les yeux… Laissez les mots vous chuchoter leurs secrets d'alcôve… Silence : le plaisir s'écrit.

Des siècles de littérature érotique.  Des milliers de lignes qui cherchent, sinon à épuiser, à dire et redire le mystère du désir et de la jouissance.
Reprenons : il était une fois l'amour. Le désir. Le plaisir. Les esprits s'échauffaient. Les corps se souvenaient. Ils en auraient perdu la mémoire.
Et pourtant il faut se souvenir. Il y a très longtemps. Alors que l'Amour Courtois recouvrait d'un voile pudique les émois charnels,  les fabliaux au XIIIème et XIVème siècle célébraient tout autant qu'ils moquaient les voluptés du sexe. Sous la Renaissance, les écrits érotiques, jugés immoraux et hautement subversifs, conduisaient directement au bûcher. Théophile de Viau, accusé en 1622, échappa de justesse à la grillade. Claude Le Petit n'eut pas cette chance, il fut brûlé vif. Les auteurs comme leur livre partaient au purgatoire. Puis, vint l'ère du libertinage. Le corps, loin des injonctions de l'Eglise, se réconciliait avec l'âme. Diderot écrit en 1748 Les bijoux indiscrets ; Choderlos de Laclos, Les liaisons dangereuses. Perversions, fantasmes, déviances nourrirent une littérature qui se refusait désormais aux dérobades et aux fausses sublimations. Comme si elle attendait secrètement un ébrouement salvateur du langage. Comme si elle attendait celui qui ferait voler en éclats les bienséances chichiteuses et mièvres, celui qui prendrait à bras-le-corps nos attentes inavouables. Ce fut le divin Marquis de Sade et ses « sanglantes épopées érotiques ». Les pires affinités n'étaient plus silencieuses.  Les poèmes licencieux de Clément Marot, les facéties grivoises étaient loin.  Avant lui, les mots se plaignaient et se torturaient. Ils s'ennuyaient. Avec lui, ils plongent en eaux troubles ; ils fragilisent la censure pour mieux anéantir toutes les autres. Ils miment et réorchestrent la violence sexuelle. Timidement, le XXème siècle pointa le bout de son nez. Et la littérature eut un autre visage. D'Apollinaire à Bataille, en passant par Pierre Louys, elle se déshabilla, sans arrière-goût de culpabilité. La discrétion n'était plus son fort. Bien sûr elle conservait ses chagrins et ses résistances. La psychanalyse n'allait pas tarder à les mettre à mal. Aujourd'hui, le scandale est un certificat de bonnes mœurs. Les amours obscures, un gage de succès. Elles fleurissent  confessions et récits, de Houellebecq à Christine Angot, de Catherine Millet à Bergamini. De solitaire, le fantasme est devenu solidaire. L'époque se veut généreuse.

Une permanence s'observe néanmoins : les écrits coquins suscitent toujours ferveurs et enthousiasmes. Pourquoi ? Parce qu'ils ne peuvent nous laisser indifférents et qu'ils seront toujours le lieu d'une autre intimité amoureuse. Quand les mots rôdent autour du désir, la lecture devient nerveuse et hâtive. On les suit. Ils nous suivent. Ils s'impriment dans notre esprit et tout notre être se raidit. Il s'agit avec eux de pousser la porte… Une fois les portes ouvertes toutes grandes, au nom de quoi opposer une limite, à quel moment dire que l'écrivain est allé trop loin ? Est-ce lui ? Est-ce nous ? L'écriture a alors quelque chose de stimulant, elle incite à se porter à ces lieux frontaliers où le désir ne se nomme plus. Mais où il explose. Surgit alors une parole toute en faims, et tout en plaisirs aussi. Certains disent qu'ils détestent, comme pour mieux admirer secrètement, la brutalité froide, le calme satanique des phrases qui se déversent sur nous comme des aveux dont on ne se remet pas.  Une griserie monte. Cette littérature-là se moque des exaspérations fébriles. Elle veut plus. Toujours plus. Dans sa gaillardise, dans son obscénité débridée, dans sa verdeur ou son réalisme brutal, qu'elle soit galante, libertine ou purement amoureuse, elle est une plongée dans une authenticité enfouie. « Il n'est pas de mensonge en littérature érotique » comme écrivait fort justement Desnos.
On butine les mots comme on aime à butiner les corps. Les yeux sont tout aussi avides que les mains. Trouble effusion qui mène le lecteur à presser le livre contre sa peau et ses lèvres, pour que jamais ne cesse le plaisir, le seul plaisir qui dure toujours, celui pérennisé par les mots.

Oui, les mots sont comme des baisers. Ils nous portent à frémir. Au désir. Au plaisir. Souvenez-vous. Il était une fois l'Amour.

Bibliographie