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Dans sa démarche de classification des images littéraires en fonction des quatre éléments, Gaston Bachelard s'intéresse avec L'air et les songes : essai sur l'imagination du mouvement à l'air et à son lien avec la poésie. En introduction, l'auteur écrit "Si une image présente ne fait pas penser à une image absente, si une image occasionnelle ne détermine pas une prodigalité d'images aberrantes, une explosion d'images, il n'y a pas imagination."

L'imagination, pour Gaston Bachelard, n'est pas tant la capacité de former des images ex nihilo que de déformer un stimulus, une première impression. L'imagination est évasive et est bien loin d'être seulement un état : elle est intégrante de ce qui fait l'Humain, et est une émancipation du réel.

L'imagination, si on peut considérer qu'elle est le moteur même de l'écriture, anime en tant que méta-sujet la production philosophique sous bien des formes : elle est pour Descartes le carrefour de l'Entendement et de la Volonté ; elle est utile à Sartre pour la conceptualisation, l'inventorisation et le traitement de l'information ; Michel Pastoureau voit l'imagination comme une part intégrante du réel, et une arme indispensable au bon travail de l'historien. Xavier Pavie dans L'imagination comme mode de vie, fait du manque d'imagination l'une des raisons aux maux de nos sociétés. Car si l'imaginaire est le canva de l'auteur, elle est de manière plus collective l'outil de projection du désir d'utopie : penser le réel, c'est imaginer son environnement.

Et si l'utopie n'a pas de visage unique, c'est bien que la conception du territoire rêvé se calque sur la psyché du penseur. En ce sens, nous sommes constamment abreuvés de livres traitant du monde parfait. Témoins récents, la faste montée, suivie par une déchéance tout aussi fulgurante du Liberland, territoire situé entre la Serbie et la Croatie, terra nullius qui verra naître en 2015 une micronation mûe par une ferveur libertarienne ; la communauté des Zana-Malata, descendants métissés des pirates du XVIIIème siècle à Madagascar ayant porté au travers des âges une volonté d'indépendance dans un territoire utopique baptisé le Libertalia ; ou encore les contes passionnants de Gideon Defoe dans Rayés de la carte, anthologie où l'anthropologue raconte les histoires de pays aujourd'hui disparus. La technologie avançant, les volontés d'oasis se déplacent jusqu'aux confins d'Internet, où Valentina Tanni observe dans Vibes lore core : esthétique de l'évasion numérique les archipels de niches artistiques trouvable sur la toile, souvent considérées comme des portes de sortie d'un quotidien trop normal vers des landes où l'imagination est la seule limite.

Là est toute la question : avec une volonté toujours plus forte de liberté, quels sont encore les cocons propices au déploiement de l'imagination ? A défaut de vous en donner la carte, vous trouverez au sein de ce dossier autrices et auteurs ayant pensé l'imaginaire, accompagnés par quelques récits de ces pays et micronations utopistes, qui ont été, pour certains, le temps d'un instant, les fameux échappatoires tant désirés.