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Jeûner, un art de vivre

Publié le 15/02/2010
Le Carême arrive à grands pas et ce sera pour les chrétiens, comme chaque année, un temps placé sous le signe de la prière, de l'intériorité et d'un idéal de vie basé sur les enseignements du Christ. C'est aussi une période de jeûne, même si cette pratique s'est un peu faite oublier au fil des siècles par une partie des chrétiens.
Mais pour autant, le jeûne n'est pas tombé aux oubliettes, et il semble même connaître depuis quelques années un regain de popularité, du moins du côté des diététiciens. Que ce soit pour se purifier mentalement ou physiquement, comme un moyen de pénitence ou à des fins politiques, jeûner est un acte polymorphe dont les motivations sont multiples, ce qui permet de comprendre sa dimension universelle.

Cette pratique ancestrale fait tellement parti de notre inconscient collectif que nous avons fait dériver de la même racine étymologique les mots que nous utilisons couramment pour désigner le fait de manger : «déjeuner» et «dîner» signifient littéralement «rompre le jeûne». Le jeûne est une pratique de l'ascèse, car il est une privation d'un besoin naturel et instinctif au même titre que la chasteté ou le silence. Au sens large, il revient à se priver volontairement de tout aliment solide - et parfois liquide - pendant un laps de temps défini. Mais il peut se décliner de différentes façons suivant le contexte, qu'il soit religieux ou non, dans lequel il se pratique.
Parmi ses variantes, le jeûne peut être monophage (manger seulement une fois par jour, le plus souvent à heure fixe) ou xérophage (se priver uniquement de certains types d'aliments). Comme toute pratique ascétique, le jeûne tend vers un idéal personnel, mais aussi collectif. S'il permet une plus grande liberté spirituelle, par le détachement de biens matériels, et une grande joie intérieure, il ne prend tout son sens que lorsqu'il est partagé par le reste de la communauté.
Il s'accompagne toujours de prières, de charité, et d'un fort esprit de solidarité. Ainsi, le jeûne occupe une place centrale dans la plupart des religions d'Orient et d'Occident, même si les origines diffèrent.

L'hindouisme a développé une longue tradition de pratiques d'ascèse, surtout chez ceux que l'on nomme les «renonçants», les saddhus., comme celle, par exemple, qui consiste à jeûner les jours de nouvelle lune. Chez les yogis, le jeûne s'apparente à une véritable pratique de dévotion, de méditation et de concentration en vue d'obtenir un état de réalisation spirituelle intense. Sans parler de la médecine indienne traditionnelle, l'ayurveda, qui accorde une grande place à la diététique dans l'entretien et la promotion de la santé. De nombreuses personnalités mystiques, qu'il s'agisse de Ghandi ou Ramani Maharshi, ont fait de la privation de biens matériels un véritable art de vivre menant à l'Éveil. La tradition bouddhiste a repris cette longue tradition de l'ascèse dans la philosophie qu'elle a développée en Inde à partir du VIème siècle avant notre ère.
Prônant plus la modération que la privation totale, le jeûne fait cependant de la pratique habituelle des moines, pour qui le dépouillement est un moyen de se libérer de la souffrance et du cycle des réincarnations.

Le jeûne est également très présent dans les religions monothéistes, soit en guise de commémoration d'événements fondateurs de l'histoire d'un peuple (c'est souvent le cas dans le judaïsme), soit comme une voie d'identification à la vie et aux enseignements d'une figure prophétique (comme dans le christianisme et l'Islam).
Dans le judaïsme, le jeûne le plus pratiqué est celui de Yom Kippour, d'une durée de 25 heures environ, et dont le but est l'expiation des péchés et la purification de l'âme. A cette occasion, il est interdit à toute juive de plus de 12 ans et à tout juif de plus de 13 de manger, de boire, de porter du parfum, ou d'avoir des relations sexuelles. C'est le jour le plus important du calendrier juif et il est généralement suivi par l'ensemble de la communauté, même non pratiquante. Beaucoup d'autres jeûnes ponctuent le calendrier juifs dont la plupart tirent leur origine de la Torah.

Comme dans le judaïsme, le jeûne le plus suivi des chrétiens est celui qui précède leur fête la plus importante : Pâques. Cette période, le Carême, dure six semaines et, comme la plupart des rites chrétiens, correspond à un épisode de la vie du Christ, à savoir son séjour de 40 jours et 40 nuits dans le désert. Le jeûne est une vieille tradition chrétienne, héritée du judaïsme, qui a connu un fort engouement avec les Pères du désert, puis les communautés monastiques qui ont suivi. Mais depuis quelques siècles, le Carême pascal est tombé lentement en désuétude, alors que d'autres jeûnes du calendrier chrétiens ont pratiquement disparu (c'est notamment le cas du Carême de l'Avent, qui n'est guère plus suivi que par certaines communautés orthodoxes).

La troisième religion monothéiste, l'Islam, ne fait pas non plus exception. Le jeûne du Ramadan, l'un des cinq piliers de l'Islam, est très pratiqué par les musulmans. De nombreux écrits soufis, notamment ceux d'Al-Ghazali ou d'Ibn'Arabi, ainsi que les hadiths (la tradition orale du Prophète) ont contribué à vanter les mérites spirituels du jeûne, et rendre cette pratique populaire parmi les fidèles. Pendant cette période qui dure près d'un mois, le pratiquant doit se priver de l'aube au coucher du soleil de boisson, de nourriture, de tabac, de relations sexuelles, ainsi que de pensées mauvaises ou d'actes mauvais.