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Les animaux 2

Publié le 09/09/2011
Les animaux et nous. Nous et les animaux.Dans sa lettre à Paul Demeny, en date du 15 mai 1871, la célébrissime Lettre dite "du Voyant", le non moins célèbre poète Arthur Rimbaud affirme que « le poète est en charge de l'humanité et des animaux même »... Mais est-il véritablement l'unique homme à s'inquiéter des animaux et doit-il être le seul à se sentir en dette d'une certaine responsabilité à leur égard et à s'enquérir de leur être et de leur devenir ?Analyses et réflexions sur notre relation à l'animal
Le poète veut-il seulement nous rendre sensible au fait que sans les animaux le monde ne serait pas humain ? Le poète ne veut-il pas tout simplement, en quelque sorte, nous faire retrouver une sensibilité et une curiosité à l'égard de l'animal qui loin de nous détourner de notre humanité, nous en rapprocherait ? Le poète n'est-il pas en charge du vieux rêve de l'humanité de communiquer avec le reste des vivants et en particulier, notre vieil alter ego l'animal ? Autrement dit, si Rimbaud a su énoncer dans cette même "Lettre au Voyant" que « Je est un autre », ne serait-ce pas l'animal cet autre, cet étranger indéfini à nous-mêmes ? Nous pourrions alors mieux comprendre la promesse du poète qui s'enquiert et s'engage auprès de lui-même, auprès d'une part de son indéfectible identité animale où le poète en tant qu'homme s'engage dans son humanité envers l'animalité. Cette promesse de l'homme et du poète, c'est également celle de joindre nos facultés spécifiquement humaines à la plénitude des facultés animales.

La pensée occidentale a longtemps confronté la figure de l'humanité à celle de l'animalité où la recherche d'un ou des "propre(s) de l'homme" conduisait à définir la condition animale par ce qui lui manque : la conscience, la culture, le langage, la raison, la pudeur ou bien encore le rire... L'animal est ainsi défini par défaut, de manière privative, apophatique et il est réduit à n'être que le négatif de l'homme. La plupart des définitions traditionnelles autour des idées d'animalité et d'humanité reviennent à affirmer que l'homme possède quelque chose qui, en s'ajoutant à sa nature animale, la transforme, la phagocyte et la dénature. Ces définitions ont en commun la proposition suivante: "l'homme est le seul animal qui ne soit pas véritablement un animal".

L'homme constitue ainsi une certaine exception dans l'ordre du vivant et dans l'ordre animal. Mais qu'en est-il exactement de cette prétendue "exception humaine", selon l'expression de J.M. Schaeffer ? Que recouvre-t-elle précisément ? L'animal n'est-il en fin de compte qu'un mot, une catégorie ou une idée aisément manipulable ? L'animal reste encore notre "métaphore", nous l'humanisons autant que nous nous animalisons. D'où vient l'avènement de l'animal dans la pensée humaine ? Que vient-il révéler ou détourner de nous-mêmes ? La métaphore animale de l'homme ne serait-elle pas, un aveu et un refoulement des plus singuliers de notre parole sur nous-mêmes ? Aujourd'hui, l'éthologie, la paléoanthropologie, les sciences du vivant mais également la philosophie contemporaine, nous portent à étudier, à définir, à observer et à regarder les animaux différemment. L'ensemble de ces disciplines et savoirs ont bouleversés les représentations que l'on pouvait se donner des hommes et des animaux et de leurs rapports mutuels. L'être animal et l'être humain sont de moins en moins rigidement opposés selon des critères transcendants qui d'une manière ou d'une autre conduisaient à dévaloriser et à dégrader la condition animale. D'ailleurs, le terme "animal" est un terme équivoque car il s'applique autant aux êtres animaux, hommes non compris, qu'autres êtres animaux, hommes y compris. L'homme est en quelque sorte un animal particulier dans l'ordre des animaux ! Il y a en quelque sorte une exception humaine dans l'ordre de l'animalité. Aborder l'énigme de l'animalité, n'est-ce pas en quelque sorte nous contraindre à nous interroger sur l'animal singulier que nous sommes, mais également à nous révéler les regards et les représentations que nous portons sur l'humanité.

Il n'y a pas d'animal en soi ! Il n'y a que des animaux d'une foisonnante diversité avec lesquels des humains, eux-mêmes pluriels, ont noué au fil des temps des liens fortement contrastés en fonction de ce qu'ils voyaient en eux. Mais alors, comment ne pas relativiser l'exception humaine sans sombrer dans une confusion entre tous les êtres vivants, sans verser dans l'alternative "naturalisme versus anti-naturalisme" réductionniste ou simpliste ? La nécessité de ré-ouvrir la question de l'animal, trop longtemps recouverte par le primat d'un logos anthropocentrique conduit à un enjeu : celui de comprendre pour quelles raisons le souci des animaux fait partie intégrante de notre humanité et comment les vies partagées avec les animaux peuvent constituer un enjeu philosophique et scientifique majeur. Nous invitons à penser philosophiquement notre rapport au monde animal et à nous demander si nous n'aurions pas quelques devoirs envers eux, si nous ne devrions pas reconnaître en eux une certaine communauté de destin qui nous conduirait également à cesser de voir en l'animalité la métaphore de notre inhumanité.

L'épreuve de la connaissance des animaux nous conduit à établir des relations affectives qui nous transforment en leur présence. Il nous faut donc avoir une certaine reconnaissance du cœur ! Quant nous tissons des liens avec la pluralité animale, nous entrons dans une pluralité de mondes et nous cherchons à comprendre ce qu'ils comprennent. Nous découvrons ainsi d'autres univers mentaux qui par comparaison avec le nôtre permettent de mieux le comprendre et de ne plus vivre de quelconques sentiments de flétrissements à l'égard de notre pas si lointaine origine animale. Dans les propos des hommes sur les animaux et leurs conditions, il y a somme toute quelques reflets de ce qu'ils cachent en leur âme. Ainsi, en lisant les philosophes, nous apprenons bien des choses sur eux, leurs aversions et leurs passions, leurs désirs ou leurs délires. Voyez entre autres, la tortue victorieuse d'Achille de Zénon d'Elée, le poulet de Platon, l'hirondelle d'Aristote, le Léviathan et le loup de Hobbes, la pie et le chien de Descartes, l'abeille de Voltaire et de Mandeville, l'orang-outan de Rousseau, l'éléphant de Kant, le lion de Nietzsche, le chat de Derrida... (R. Maggiori, Un animal, un philosophe)

Comme le rappelle la philosophe Elisabeth de Fontenay dans Le silence des bêtes. La philosophie à l'épreuve de l'animalité, « c'est à l'horizon de nos pensées et de nos langues que se tient l'animal, saturé de signes ; c'est à la limite de nos représentations qu'il vit et se meut, qu'il s'enfuit et nous regarde.» Les animaux ont une histoire, une histoire caractérisée fondamentalement par les rapports que nous avons avec eux dont nous aimerions à cet instant rompre le silence, en parlant si possible en leur nom. L'homme a remarqué les qualités spécifiques des différentes espèces animales qu'il rencontrait et a très tôt tenté de s'approprier leurs talents pour améliorer sa qualité de vie. Force est de constater que, dans presque tous les cas, si l'homme a réussi à apprivoiser les animaux c'est que ceux-ci y ont trouvé un intérêt. L'animal attiré par l'homme ou par ses activités s'est laissé approcher, l'homme n'avait plus alors qu'à apprendre à communiquer avec lui. Des relations symbiotiques d'un genre nouveau se sont alors instaurées : en échange de soins et de nourriture, l'animal a mis ses talents au service de l'homme.

Or ces rapports n'ont pas été sans conséquences. Ces liens sentimentaux réciproques entre l'animal et l'être humain ont créé une dépendance physique et psychique entre les deux êtres. L'homme et l'animal, en gagnant du confort, ont perdu de leur liberté. De plus, l'entrée de l'animal dans les sociétés humaines a définitivement transformé ou façonné celles-ci, quelquefois jusqu'à l'extrême : la vie de tous s'organise alors autour de celle des animaux. L'homme et l'animal ont alors pu devenir indispensables l'un à l'autre. Comme le souligne la philosophe Françoise Armengaud, dans ses Réflexions sur la condition faites aux animaux qu' "Il serait doux de seulement chanter l'animal hiératique des panthéons d'Égypte et d'Orient, l'animal merveilleux des fables et des légendes, le modèle sapiential des Bestiaires et des allégories, l'être secret mais "ouvert" de Rilke, et encore les créatures minutieusement peintes par d'innombrables artistes, ou au plus près de nous, la bête familière des compagnonnages exquis et des complicités câlines. » Mais une tenace réduction de l'animalité à l'insignifiance et au dérisoire nous oblige à être prudent. Les animaux pour leur malheur partagent le plus souvent notre présence au monde et sont victimes de notre cohabitation envahissante, outrancière pour ne pas dire violente.

Il nous faut ainsi renouer des liens réels avec les animaux, radicalement phagocyté par une certaine métaphysique de l'animalité et de l'humanité qui s'est arrogé le droit arrogant de légiférer sur les propres de l'homme et les propres de l'animalité. Elle s'est arrogé le sort et le destin des humains et des animaux quitte à les confondre dans une indifférence totale ou dans la violence de l'extermination de masse et l'horreur des abattoirs qui porte atteinte à la dignité animale et à la dignité humaine. Elisabeth de Fontenay dans le Silence des bêtes rappelle que "Le pouvoir infini de la terreur, le paroxysme de l'intelligibilité meurtrière, n'est-ce pas précisément le sort que connaissent tant et tant d'animaux" et nous pourrions ajouter d'humain. Pourquoi tant d'indifférence à ce que nous leur faisons vivre, au manque de prise en considération des "crimes contre l'animalité", selon les propos de F Armangaud ? Comme le souligne le philosophe et éthologue Dominique Lestel, "le nexus du problème réside moins dans la caractérisation du propre de l'homme que dans son statut dans le discours de l'homme sur lui-même. Dans nos contrées, le propre de l'homme est fondamentalement conçu comme un privilège que l'homme a reçu de droit divin : conçu à l'image de Dieu, l'homme peut instrumentaliser l'animal à sa convenance. En ce sens, le propre de l'homme n'est pas tant ce qui différencie l'homme de l'animal, que ce qui place le premier au-dessus du second. Cette conception du propre de l'homme justifie toutes les exactions contre l'animal. Une autre conception s'en écarte considérablement. Elle conçoit le propre de l'homme non comme un privilège, mais comme une responsabilité. Dans cette perspective, l'homme n'est plus celui qui est au-dessus de toute autre créature vivante, mais celui qui a le souci de toutes les autres créatures vivantes — celui qui est le vivant responsable de l'ensemble du vivant ".

Le 03 janvier 1889, en voyage à Turin, le philosophe Nietzsche s'est indigné contre un cocher ivre en train de frapper son cheval à coup de cravache. Révolté Nietzsche se précipite au cou de l'animal, affligé de douleurs en pleurant. Peu de temps après, il sombre dans la folie. Commentant cette anecdote, dans L'insoutenable légèreté de l'être, le grand romancier Milan Kundera a énoncé la belle idée suivante : « La vraie bonté de l'homme ne peut se manifester en toute liberté et en toute pureté qu'à l'égal de ceux qui ne représentent aucune force. Le véritable test moral de l'humanité, le plus radical, ce sont ses relations avec ceux qui sont à sa merci : les animaux.»

En conclusion, l'homme n'est pas le seul animal à penser, mais il est le seul à penser qu'il n'est pas un animal. Par conséquent, parler d'animalité et d'humanité, c'est oublier ou recouvrir le fait que la formule est celle d'un énoncé proprement humain. Les relations dont nous parlons ou relatons les faits dans nos essais, dans la littérature, la philosophie ou les sciences sont celles qu'entretiennent des animaux entre eux, certains ayant pour différence spécifique d'être humains semble-t-il. Comme le note l'éthologue et philosophe Florence Burgat, "à la limite nous pourrions dire que le concept d'animal désigne plus une condition qu'une réalité zoologique et renvoie à des orientations idéologiques plus qu'à des caractères relevant de la taxinomie."

"L'animal que donc nous sommes" dixit J. Derrida doit donc s'enquérir du sort des animaux afin de pouvoir être mieux à même de garantir son propre avenir, si nous souhaitons au mieux nous enquérir et être responsable de nous-mêmes. Si tous ne sont ni nos amis, ni nos ennemis, nous n'en sommes pas moins en grande partie leurs obligés.


Stéphane Cormier
Doctorant en philosophie E.A. Sciences, Philosophie, Humanités
Université Michel de Montaigne Bordeaux 3
Chargé d'enseignement en anthropologie & philosophie
Université Victor Segalen bordeaux 2

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