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L'Utopie

Une actualité de Libraires
Publié le 19/03/2021
Terme créé en 1516 par le Chanoine anglais Thomas More, le mot Utopie porte en lui, dans sa composition même, toute l’ambivalence de son sens.
Dans son passionnant petit livre paru dans la collection “Le mot est faible” chez Anamosa, l’historien Thomas Bouchet nous rappelle que la création du mot à partir de racines grecques laisse la porte ouverte à deux traductions possibles: le préfixe particulièrement détermine l’utopie soit comme un “non lieu” soit comme un “bon lieu”. De l’une naît une aspiration idéale et donc inatteignable, de l’autre né la capacité d’un autre possible, lui réalisable. 
Cette alternative, nous la retrouvons depuis 500 ans dans notre manière d’envisager l’utopie. Nous la percevons surtout dans l’affrontement permanent qu’elle suscite entre ceux qui arguent du réel et ceux qui le rêvent, entre ceux qui bâtissent le monde et ceux qui voudraient le remettre à plat; entre les raisonnables et les naïfs à moins que ce ne soit entre les conservateurs et les visionnaires.
Concept tout d’abord philosophique, l’utopie construit des passerelles mentales : la littérature s’en empare aussitôt avec Rabelais qui en fait le pays imaginaire de Pantagruel, l'Abbaye de Thélème présentée dans son ouvrage Gargantua. Mais c’est surtout la critique sociale qui va l’utiliser pour forcer la société à se repenser. Le désir d’utopie donne lieu à des expérimentations, elle ouvre des portes, elle tente: lui reproche-t-on que cela ne marche pas, elle aura eu au moins l’ambition d’essayer d’autres alternatives.
Le philosophe Ernst Bloch remarquait que le besoin d’utopie réapparaissait lors des grandes crises. Ce besoin de changement, de tirer les leçons du passé, d’envisager un monde meilleur, plus juste, plus humain, nous le voyons réapparaître avec la crise climatique et bien évidemment avec la pandémie. A nous de savoir si ces aspirations s’échoueront dans un non lieu ou si elles parviendront à se réaliser dans un lieu meilleur voire bon.

Si l’on remonte le temps, on s'aperçoit donc que la philosophie et l'utopie sont depuis longtemps étroitement liées. Dans son ouvrage, Thomas More évoque une île imaginaire à la société idéale, égale et équitable. Mais on peut remonter à plus ancien, notamment avec La République de Platon, où le philosophe Socrate imagine une organisation de la cité idéale où la vertu, la raison seraient les outils pour façonner celle-ci.
Plus tardivement, en 1627, sort l'ouvrage de Francis Bacon La Nouvelle Atlantide. Dans cet ouvrage fictionnel de philosophie, l'histoire se déroule sur l'île imaginaire Bensalem: là, plusieurs savants ont pour mission de discerner le vrai du faux dans le domaine à la fois religieux et scientifique. La science y est présentée comme la solution idéale pour une société prospère.
Souvent c’est la révolte qui donne naissance à l'utopie: une volonté de ne pas accepter les choses comme elles sont, un outil, une arme, une proposition à un problème sociétal. Elle veut amener à changer ce qui est, à éveiller les consciences. Elle appelle à l'action et condamne l'immobilité. Dans son ouvrage, Thomas Bouchet convoque les différentes façons dont l'histoire s'est approprié l'utopie, comment ce mot et ce qu'il enferme a été malmené, décortiqué, transformé. Il fait  aussi l'exercice de redonner toute sa saveur à ce mot empli de sens et de valeurs profondes.Un mot à laquelle une seule idée finalement reste attachée: celle de la révolte.


Depuis les crises du XXe siècle, la littérature a montré qu'elle était lieu d'anticipation, de prévision et de réflexion sur les futurs de la société. De grands textes se sont imposés aux fils des années comme des chefs d'œuvre incontournables du genre, révolutionnant les pensées. 1984 de George Orwell, est  l'une des descriptions critiques de la société les plus influentes, tirant son inspiration de Nous, récit dystopique précurseur écrit en 1920  par l'auteur russe Evgueni Zamiatine, remis dans la lumière par les éditions Actes Sud en ce début d'année 2021.
L'utopie se fait plus discrète mais des maisons d'édition ont fait le choix de mettre ces visions en avant. C'est le cas des éditions Rue de l'échiquier qui à travers deux textes Ecotopia (Ernest Callenbach, 2018) et Mousse (Klaus Modick, 2021) racontent l'émancipation des trois états des USA pour former un pays autosuffisant aux fondements humains et écologiques fort pour le premier, et une réflexion profonde à travers une fable écofictive sur ce que l'homme a oublié de la nature pour le second. Les éditions La Volte ont une collection appelée "Eutopia" qui regroupe de courts textes utopiques d'auteurs contemporains. Elles permettent au lecteur de lire un concentré d'idées nouvelles pour imaginer un futur plein de solutions. (Un souvenir de Loti, Philippe Curval, 2018 et Résolution Li Cam, 2019).
Enfin, récemment, Sandrine Roudaut nous a percuté avec Les déliés (Les éditions de la Mer salée, 2020) où, dans une France très proche de la nôtre, cinq femmes montrent qu'il est possible d'ouvrir son esprit et d'agir concrètement dans l'intérêt de tous et toutes.

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