Par-delà la singularité irréductible de son récit, Julia Deck n'est pas le seul écrivain à mettre en scène (ici explicitement) un psychanalyste dans un roman, interrogeant alors en creux le lien entre folie et création. Dans un passionnant essai intitulé Freud avec les écrivains pour lequel les auteurs sont venus récemment à la librairie (podcast de la conférence), le psychiatre Edmundo Gomez Mango et le psychanalyste J.-B. Pontalis inversent, à l'instar de Pierre Bayard (également psychanalyste et écrivain) notamment dans Peut-on appliquer la littérature à la psychanalyse, le propos communément admis. Au lieu de la « psychocritique » (Charles Mauron) et à côté de la « textanalyse » (Jean Bellemin-Noël) qui tendent à administrer aux textes littéraires les concepts psychanalytiques, les deux auteurs nous ouvrent la bibliothèque de Freud et révèlent tout ce que ce fondateur doit à la fréquentation des grandes œuvres qu'il a incorporées : Sophocle et Shakespeare pour le fameux complexe d'Œdipe, les romantiques allemands (Goethe, Schiller, Heine, Hoffmann) sans oublier les écrivains de son temps rencontrés et avec lesquels il a correspondu tels Stefan Zweig, Arthur Schnitzler, Thomas Mann ou le Français Romain Rolland. Cette tension permanente entre le « Dichter » (le poète ou créateur littéraire que Freud admirait pour avoir saisi avant lui l'inconscient) et le « Forscher » (le chercheur, le scientifique qu'était Freud) traverse la théorie freudienne mais également son style : en cela, Gomez Mango et Pontalis montrent combien la pensée de Freud habite poétiquement sa langue (l'allemand) et la langue « dans un abandon mutuel, dans une fécondité amoureuse ».
L'éminent psychiatre suisse et critique littéraire Jean Starobinski (auquel Freud et les écrivains est dédié !) publie récemment L'encre de la mélancolie qui est le cœur et le point final de son œuvre entamée dès les années 1960 avec sa thèse de médecine : soit l'étude du thème de la mélancolie à travers la littérature, ce qui implique un détour passionnant par l'histoire de la philosophie (Aristote, Démocrite, Ovide, Robert Burton, Kierkegaard…), de l'art (Van Gogh, Dürer, De Chirico, Munch…) et bien sûr la littérature (de Montaigne à Artaud, en passant par Rousseau, Baudelaire…).
Le 27 novembre, ce sera au tour de Jean-Yves Tadié, spécialiste et éditeur de Proust dans la collection de la Pléiade, d'évoquer à la librairie (cf. agenda Mollat) la relation entre l'écrivain d'A la recherche du temps perdu contemporain de Freud (mais qui ne se sont jamais rencontrés !) et l'inconscient qui donne son titre à cet ouvrage Le lac inconnu, trouvaille de l'écrivain-poète incluse dans Le Temps retrouvé : « …ce magnifique langage, si différent de celui que nous parlons d'habitude et où l'émotion fait dévier ce que nous voulions dire et épanouir à la place une phrase tout autre, émergée d'un lac inconnu où vivent des expressions sans rapport avec la pensée et qui par cela même la révèlent. »
En guise de repères, voici une sélection de romans et d'essais qui permettent d'approfondir le rapport ô combien fécond entre psychanalyse et littérature :
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