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Paul Celan

Publié le 23/03/2007
« Je tiens à vous dire combien il est difficile pour un Juif d'écrire des poèmes en langue allemande […] Pourtant mon destin est celui-ci : d'avoir à écrire des poèmes en Allemand. »
Paul Celan est l'une des plus grandes figures de la poésie d'après-guerre en langue allemande mais peut-être aussi la plus secrète. Son œuvre, très innovante formellement, fourmillant de références et d'emprunts, hantée par la mémoire de la Shoah, a contribué à faire évoluer en profondeur la poésie et le langage. L'allemand pour Celan, comme pour Kafka, était une langue marginale, qu'il n'aura de cesse d'enrichir de mots et d'atmosphères issus des cultures dont il est imprégné.
Souvent hermétiques au premier abord ses poèmes - antithèse d'une littérature de l'immédiateté - méritent qu'on leur accorde le temps de maturation nécessaire pour délivrer leur musique d'ombre, foisonnante et retenue à la fois.
Difficile donc de découvrir l'œuvre de Celan sans l'associer aux différentes périodes de sa vie.

Né en 1920 au sein d'une famille juive allemande à Czernowitz, capitale de la Bucovine annexée à la Roumanie à la fin de la première guerre mondiale, Paul Pessach Antschel (il n'adopta le nom de plume de Celan, anagramme d'Antschel, qu'à partir de 1945) apprendra l'allemand dès l'école maternelle et ira à l'école allemande, tout en débutant dès la maternelle l'apprentissage de l'Hébreu.
Entre 1938 et 1939, il séjourna une année à Tours pour y amorcer des études de médecine et perfectionner sa maîtrise du français. Puis il se consacra aussi à l'étude de l'anglais. Ses connaissances linguistiques l'amèneront à traduire en allemand Shakespeare, Pessoa, Baudelaire, Rimbaud, Char ou encore Ungaretti et Tsvetaeva.

Souvent considéré comme le plus grand poète de langue allemande d'après-guerre, Paul Celan ne se sentit pourtant jamais allemand : il grandit au sein d'une famille allemande certes, mais dans un pays fortement empreint de culture slave, où l'on parlait le roumain et où la communauté juive s'exprimait surtout en yiddish. Puis, jusqu'en 1950, ce pays demeurera pour lui celui où l'on a assassiné ses parents et où il a été déporté en tant que juif dans un camp de travail.

Après la guerre Paul Celan s'accrochera à la langue, qui sera tout ce qui lui reste. Mais il souffrira d'écrire dans la même langue que les assassins et ressentira le besoin vital de la restaurer, d'explorer toutes les voies d'expression à l'intérieur de cette langue pour en faire une «contre-langue», témoignage d'une absence. En 1948, peu après avoir quitté Bucarest pour Vienne, il se définit par la formule de «triste poète de la langue teutonique». Quelques mois plus tard, au moment où il s'installe définitivement à Paris, il réaffirme sa fidélité à cette langue : «Il n'y a rien au monde qui puisse amener un poète à cesser d'écrire, même pas le fait qu'il soit juif et l'allemand la langue de ses poèmes». Un lecteur parmi les plus attentifs et profonds de l'oeuvre de Celan, George Steiner, a écrit que peut-être la seule langue par laquelle on puisse vraiment pénétrer l'énigme d'Auschwitz c'est l'allemand, c'est-à-dire en écrivant «du dedans de la langue-de-mort elle-même».

Fugue de mort (Todesfuge), écrit en 1945, est sans doute le plus célèbre des poèmes de Celan. Le souvenir de sa déportation, la perte de ses parents (éliminés dans un camp en Ukraine), l'anéantissement du judaïsme de Bucovine : Celan est marqué à vif comme en témoigne cette élégie d'une envoûtante et ténébreuse beauté. Cette fugue, intitulée au départ Tango de mort, fera partie du second livre publié : Pavot et mémoire (après Le sable des urnes, 1948). Celan pose alors, en Allemagne, en 1952, la première pierre d'une oeuvre phare, par son exigence et par la réflexion qu'elle demande à son lecteur.

Paul Celan écrivait en 1970, peu avant de se donner la mort en se jetant dans la Seine, «mes poèmes supposent mon judaïsme». Mais on ne peut pourtant pas le classer hâtivement dans la catégorie un peu figée de la «poésie juive».
Lui qui n'avait jamais bâti sa vie autour de la tradition juive a construit sa judéité parce que l'histoire la lui a violemment désignée. Il se sentait et se voulait juif parmi les Allemands ; il avait reçu leur langue, qui n'était pas juive ; et s'il a continué à écrire en allemand c'était pour épouser en profondeur le parti des citoyens d'un pays que l'on désigne soudain comme indésirables.
Une dimension spirituelle juive imprègne cependant les pages de La rose de personne, recueil publié en 1963, avec par exemple Kaddish, la prière juive des morts. Plus loin, dans un autre poème consacré à sa rencontre avec Nelly Sachs, il évoque les prophètes, dont le message d'espérance s'est presque effondré. Leur parole pourtant subsiste encore, à la frontière de la disparition, et se réduit ici à des bribes de paroles, confuses et inarticulées.
Pour qui veut découvrir Paul Celan il serait dommage de faire l'impasse sur l'Entretien dans la montagne, écrit en 1959 après la parution de Grille de parole, son troisième recueil. Occupant une place centrale dans son œuvre il s'agit de l'un des rares écrits en prose de Celan. L'Entretien dans la montagne fut écrit en souvenir d'une rencontre manquée avec Theodor W. Adorno. Ce dont il s'agit ici, c'est de répondre à la formule qu'avait risquée Adorno, estimant qu'il était «barbare» d'écrire des poèmes après Auschwitz. «Pour Celan au contraire, écrit Stéphane Mosès, le langage frappé au plus intime de ses pouvoirs peut renaître, mais à condition d'assumer jusqu'au bout sa propre culpabilité.»

Entre autres nombreuses correspondances, celle qu'il échangea avec Gisèle Celan-Lestrange, sa femme, peut aider à s'imprégner plus profondément de la bouleversante fragilité de Paul Celan et à situer les circonstances dans lesquelles tel ou tel poème a pu surgir. Il y a sans doute peu de correspondances aussi émouvantes que celle que Paul et Gisèle Celan ont échangée durant toute leur liaison. Ces lettres retracent toute une vie ; de l'émerveillement de la rencontre à la dégradation de l'état psychique de Celan, en passant sa confrontation avec l'antisémitisme les époux ne cesseront de se réaffirmer leur amour l'un envers l'autre.

Sources :
Site Internet : http://www.anti-rev.org/.
Andréa Lauterwein, Paul Celan, Collection voix allemandes. Belin.

Bibliographie