Merveilleux et fascinant à la fois, Thoreau fut tout ceci, et toujours en même temps. Lire Thoreau, c’est embrasser toutes ces facettes à la fois. Sa vie et ses textes renferment une richesse vertigineuse, une force rare, une pulsion de vie et une pensée lumineuses. H. D. Thoreau cristallise en lui la tranquillité stable de la montagne, le regard perçant de l’aigle, l’intransigeance du tronc d’arbre.
Il était en quelque sorte l’archétype de l’homme entier. Parfois trop, son intransigeance, son inflexibilité le faisant parfois paraître auprès de ses lecteurs comme revêche, austère. Lire Thoreau, c’est aussi se confronter à cet homme, qui fit le choix d’écrire sur lui plutôt que sur les autres, partant du principe que « Je ne devrais pas parler autant de moi-même s’il existait quelqu’un d’autre que je connaisse aussi bien ? Hélas, je suis réduit à ce thème par l’étroitesse de mon expérience. Mieux, j’exige, moi, personnellement, de chaque écrivain, grand ou petit, un récit simple et sincère de sa propre vie, et pas seulement ce qu’il a entendu dire de la vie des autres ». Ces quelques lignes, qui ouvrent son magistral Walden donnent le ton.
Lire Thoreau, c’est bien sûr ouvrir un livre, mais un livre qui contient une multitude de mondes. Celui de la pensée transcendantaliste, celui d’une Amérique en train de naître, celui d’une nature sauvage en train d’être colonisée par l’homme. C’est découvrir au fil des pages la connexion intime entre l’homme et le non-humain, savourer le passage du temps et des saisons au bord d’un lac qui est « le trait le plus beau et le plus expressif du paysage. C’est l’œil de la terre, où le spectateur, en y plongeant le sien, sonde la profondeur de sa propre nature ».
Lire et (re)découvrir Thoreau, c’est comprendre la part de sauvage qui est en nous, c’est s’ouvrir au chant des oiseaux, au bruissement des feuilles et embrasser, par le détour du sauvage, ce qui fait de nous tous des êtres profondément humains. Lire Thoreau, c’est aussi faire la connaissance d’un combattant de l’esclavagisme, d’un penseur du gouvernement américain, d’un homme qui refusa de financer par le biais de ses impôts une guerre menée contre le Mexique et qui alla pour ce passer une nuit en prison. C’est comprendre que dans certains cas de figure, dans certaines situations politiques, la place du juste est derrière les barreaux et non en « liberté ». Il s’agit bien évidemment ici du Thoreau qui écrivit La Désobéissance Civile, mais aussi des textes comme L’Aubergiste, La Réforme et les Réformateurs ou encore L’esprit commercial des temps modernes.
Chantre de la liberté individuelle, la voix qui vibre dans ces textes est celle qui inspira le Mahatma Gandhi et Martin Luther King en prônant une résistance passive. Une voix qui n’a de cesse de vouloir réveiller ses voisins en dénonçant les travers d’une société en train de se former. Thoreau nous rappelle qu’il ne peut y avoir de réforme du monde s’il n’y a de réforme préalable de soi. Ses textes ne sont pas des doctrines mais la petite manivelle qui devrait être capable d’enclencher tout le mécanisme du rejet du matérialisme et de l’éveil individuel en relation avec la nature cosmique : « À quoi bon emprunter sans cesse le même vieux sentier ? Vous devez tracer des sentiers vers l’inconnu ? Si je ne suis pas moi, qui le sera ? ».
Ce que Walden (le lac) représente pour Thoreau, ses livres le sont pour nous. Il est de ces lectures qui nous transforment, de ces expériences qui nous changent à jamais. Avec ces textes, c’est à chaque page que la métamorphose s’opère, que le ravissement nous saisit. Vous ne serez plus jamais les mêmes après ces livres. À vous de choisir de vous emparer de la manivelle et de la faire tourner pour commencer à révolutionner le monde.