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La Russie à l'honneur

Une actualité de Rayon Littérature
Publié le 24/02/2018
À l'occasion de l'ouverture prochaine d'une exposition consacrée à Chagall, Lissitzky, Malevitch et l'avant-garde russe au Centre Pompidou, nous vous proposons un petit tour d’horizon de la littérature russe, laquelle compte parmi les plus riches et les plus influentes du patrimoine culturel mondial.
Les géants du XIXème siècle russe

Les géants littéraires du XIXe siècle russe sont traduits dans le monde entier et continuent de s’imposer, à la faveur d’éditions revisitées, sur les tables des librairies comme au sein de leur fonds. La portée universelle de ces textes explique sans doute l’intemporalité de leur succès. Dostoïevski, dont les œuvres complètes ont été retraduites entre 2013 et 2016 chez Actes Sud, interroge les processus de légitimation du meurtre et la possibilité du rachat à travers des romans tels que Crimes et châtiments. Dans son monumental La guerre et la paix, Léon Tolstoï se fait historien des conquêtes napoléoniennes, décrivant le déroulement des batailles, tant militaires que politiques, à travers le point de vue de personnages ballottés autant par la grande Histoire que par l’idéalisme et les passions qui les traversent. Nicolas Gogol, auteur mystique, s’inscrit dans la tradition de la littérature fantastique avec des nouvelles telles que Le manteau ou Le nez. Anton Tchekhov, le médecin/conteur, croque pour sa part avec raffinement et pudeur, tantôt avec humour, tantôt avec gravité, les mœurs de ses contemporains. Les personnages de la littérature russe classique sont souvent excessifs. Ils sont pétris de contradictions, tiraillés par leurs instincts, capables, sur le coup de l’empathie, de superbes élans de générosité, comme de perpétrer l’acte le plus vil avant de s’effondrer, terrassés par la contrition. Ils expriment nos extrémités, notre inconstance, notre humanité en somme, et c’est peut-être ce qui nous les rend si proches encore aujourd’hui.

Les héritiers

Ces grands auteurs ne tardèrent pas à inspirer des vocations, et l’on vit émerger, entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème, une seconde génération d’écrivains talentueux. Parmi eux, Mikhaïl Boulgakov, dont le chef-d’œuvre Le maître et Marguerite, republié en 2015 chez Robert Laffont, ou encore la nouvelle Cœur de chien, deux textes proscrits par la censure soviétique, s’inscrivent dans la lignée des nouvelles fantastiques de Gogol. Moins connu en Occident, mais non moins génial, le prolifique Leonid Andreïev, dont les œuvres en proses sont publiées en cinq volumes aux éditions Jose Corti. D’autres, comme « l’écrivain du peuple » Maxime Gorki, firent de la littérature une arme de combat et s’engagèrent aux côtés des bolchéviques dans l’espoir d’édifier une société égalitaire et juste. Avec le résultat que l’on connaît. Gorki sera récupéré par le régime stalinien, proclamé chantre du réalisme socialiste et surveillé étroitement jusqu’au jour de sa mort. Vladimir Nabokov ou Ivan Bounine, prix Nobel de littérature 1933, prirent quant à eux le chemin de l’exil dès les premières années du régime soviétique. Certains connurent un destin plus tragique, à l’image d’Isaac Babel, fusillé sur dénonciation au début de 1940.

Les dissidents de la Guerre Froide

Après la mort de Staline, lorsque Khrouchtchev dénonce le culte de la personnalité institué par le tyran et proclame la libération de prisonniers politiques, beaucoup d’écrivains croient en une libération de la parole en URSS. L’écrasement par le pouvoir soviétique de l’insurrection de Budapest à la fin de cette même année n’augurait pourtant rien de bon. En 1965, les écrivains Iouli Daniel et Andreï Siniavski sont arrêtés pour « activité antisoviétique » et condamnés respectivement à cinq et sept années de goulag. Ceci déclenche un vif élan de solidarité, les publications dissidentes se multiplient et sont acheminées vers l’Occident ainsi qu’à travers tout l’URSS via le samizdat, un réseau clandestin destiné à la circulation de documents prohibés par Moscou. C’est ainsi qu’Alexandre Soljenitsyne, prix Nobel de littérature 1970, parviendra à faire passer clandestinement à l'Ouest le manuscrit de L’Archipel du Goulag, inspiré de sa propre expérience des camps de travail soviétiques. Parmi les dissidents les plus influents, on peut citer Varlam Chalamov, auteur des Récits de la Kolyma publiés chez Verdier dans la collection Slovo, Alexandre Zinoviev, dont la majorité des textes sont disponibles aux éditions L’Age d’Homme, ou encore Vassili Grossman, auteur de Vie et Destin, fresque historique mettant en lumière les analogies entre les systèmes nazis et staliniens.

Mémoire de l'URSS dans la littérature russe contemporaine

Peu avant l’effondrement du bloc communiste, lorsque Gorbatchev lance la perestroïka et la glasnost, les œuvres occultées par la censure soviétiques sont rééditées et les citoyens russes découvrent Le docteur Jivago de Boris Pasternak, un autre prix Nobel, ou encore La défense Loujine de Vladimir Nabokov. L’heure est aux règlements de compte et l’entreprise de dénonciation du régime soviétique se poursuit avec des romans tels que Les enfants de l’Arbat d’Anatoli Rybakov, premier récit à mettre directement Staline en scène. Jusqu’à nos jours, la littérature « antisoviétique », investie du devoir de préserver une mémoire que le régime s’est toujours efforcé de supprimer, est demeurée vivace. Ce courant est peut-être celui qui a donné lieu au plus grand nombre de traductions à l’étranger.

Littérature de la Russie contemporaine et post-soviétique

Dans les années 1990, suite au chaos et à la désillusion engendrés par l’ouverture « sauvage » aux marchés capitalistes, un tournant se produit dans la littérature russe. Les postmodernistes font leur entrée, avec comme figure de proue des auteurs tels que Victor Pelevine et Vladimir Sorokine, qui usent de l’ironie et de l’absurde pour railler les promesses de démocratisation du président Eltsine et déconstruire les grands mythes nationaux russes. Puis, dans le courant des années 2000, avec l’émergence d’une nouvelle génération d’auteurs nés à l’époque où déjà l’empire soviétique se délitait, une partie de la production littéraire s’est peu à peu tournée vers les problématiques de la Russie contemporaine, celle de l’autocrate Poutine, sous l’influence croissante des nouveaux oligarques, grands « vainqueurs » de la transition économique, et qui entend bien retrouver une place prépondérante sur la scène internationale. Zakhar Prilepine, auteur à la renommée grandissante en Russie comme en France, fait partie de ceux-ci. Il se définit lui-même comme un « nouveau réaliste », renouant avec la tradition naturaliste et s’efforçant de donner vie à des personnages « plus vrais que nature ». Des auteurs tels qu’Andreï Doronine, auteur d’un recueil de nouvelles tragi-comique racontant les errements d’un jeune toxicomane à Saint-Petersbourg, se situent dans la même veine. C’est également le cas de Guerman Sadoulaev, qui publie Je suis tchétchène, ouvrage traitant des origines de ce peuple ancien et de la guerre menée à son encontre par la Russie, ou encore Sergueï Chargounov, auteur de 1993, roman publié, comme celui de Sadoulaev, par les jeunes éditions Louison et qui met en parallèle la tentative de coup d’état perpétrée en 1993 par la vieille garde soviétique, avec les manifestations qui eurent lieu en 2012 lors de la réélection controversée de Vladimir Poutine.

Une production variée et exigeante

Mais la littérature russe d’aujourd’hui ne se résume pas qu’à ces deux courants. Lorsque l’on s’y penche, on y découvre une production extrêmement variée et exigeante, que les lecteurs occidentaux connaissent encore trop peu. Le fantastique et le réalisme magique continuent d’y figurer en bonne place, avec des titres comme L’organisation de Maria Galina ou encore Le dernier rêve de la raison de Dmitri Lipskerov, tous deux publiés par la maison d’édition bordelaise Agullo. Des textes comme L’ours est mon maître de Valentin Pajetnov, paru chez Transboreal, traitent du retour à la nature à l’époque de la civilisation hyper-connectée. Le genre du polar commence également à se développer sous la plume d’auteurs déjà reconnus comme Boris Akounine, dont la plupart des titres sont disponibles dans la collection de poche Point Policier. D’autres encore se lancent dans des entreprises plus « littéraires », à l’image d’Andreï Baldine avec son livre Le prolongement du point et Vassili Golovanov avec Espace et labyrinthes, deux ouvrages publiés chez Verdier et qui retracent les voyages, « réels et imaginaires », des grands écrivains russes, de la « fuite » entreprit par Tolstoï à la fin de sa vie, à la recherche de la cité fictive de Tchevengour imaginée par Andreï Platonov dans les années 1920.


La littérature russe n’a eu de cesse de se faire le reflet des évolutions sociales et politiques de son pays. De Dostoïevski à Bounine, de Gogol à Soljenitsyne, les auteurs russes se sont toujours emparés des grandes questions de leur temps, cherchant à saisir cette âme russe qui ne saurait se révéler, pour l’observateur venu d’Occident, à travers de simples comptes rendus journalistiques ou politiques. Si l’on souhaite comprendre la Russie, peut-être faut-il avant tout lire les auteurs russes. Aujourd’hui plus que jamais, la société russe poursuit son évolution. Comme l’a expliqué l’écrivain Andreï Baldine au cours d’une conférence organisée en 2010 par la Maison des Écrivains Étrangers et des Traducteurs de Saint-Nazaire : « la Russie vient à peine de se retourner sur son histoire, elle peut enfin la contempler de ses deux yeux, non plus simplement d’un œil Blanc ou d’un œil Rouge. » C’est donc de leurs yeux grands ouverts que les auteurs de la Russie contemporaine poursuivent l’œuvre de leurs illustres prédécesseurs et il serait dommage de ne pas prêter attention à ce qu’ils ont à dire, car les écrits de ces voisins, dont la culture s’est souvent trouvée en rupture avec celle des nations européennes, peuvent enrichir, en contrepoint, le regard que nous portons sur notre propre société.

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